Mirabeau, la liberté de culte, pas la tolérance

Extraits des interventions du comte de Mirabeau (1749-1791) lors des séances de l’Assemblée nationale Constituante consacrée à la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Extrait 1 - Séance du 22 août 1789

Je ne viens pas prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré, que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même, puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser cela même qu’elle tolère, et qu’ainsi elle pourrait ne pas tolérer. […] Nul ne peut être troublé dans sa religion ; et pourquoi ? Parce qu’il y a toujours eu diverses opinions. La diversité des opinions résulte nécessairement de la diversité des esprits, et l’on ne peut empêcher cette diversité. Donc cette diversité ne peut être attaquée. Mais alors le libre exercice d’un culte quelconque est un droit de chacun […] .

Sans entrer en aucune manière dans le fond de la question, je supplie ceux qui anticipent par leurs craintes sur les désordres qui ravageront le royaume si l’on y introduit la liberté des cultes, de penser que la tolérance, pour me servir du mot consacré, n’a pas produit chez nos voisins des fruits empoisonnés, […] nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix.

Extrait 2 - Séance du 23 août 1789

[…] On nous dit que le culte est un objet de police extérieure ; qu’en conséquence il appartient à la société de le régler, de permettre l’un et de défendre l’autre. Je demande à ceux qui soutiennent que le culte est un objet de police, s’ils parlent comme des catholiques ou comme législateurs. S’ils font cette difficulté comme catholiques, ils conviennent que le culte est un objet de règlement ; que c’est une chose purement civile ; mais si elle est civile, c’est une institution humaine ; si c’est une institution humaine, elle est faillible ; les hommes peuvent la changer : d’où il suit, selon eux, que le culte catholique n’est pas d’institution divine, et, selon moi, qu’ils ne sont pas catholiques. S’ils font la difficulté comme législateurs, comme hommes d’état, j’ai le droit de leur parler comme à des hommes d’état, et je leur dis d’abord qu’il n’est pas vrai que le culte soit une chose de police, quoique Néron et Domitien l’aient dit ainsi pour interdire celui des chrétiens.

Le culte consiste en prières, en hymnes, en discours, en divers actes d’adoration rendus à Dieu par des hommes qui s’assemblent en commun, et il est tout-à-fait absurde de dire que l’inspecteur de police ait le droit de dresser les oremus et les litanies.

Ce qui est de la police, c’est d’empêcher que personne ne trouble l’ordre et la tranquillité publique. Voilà pourquoi elle veille dans vos rues, dans vos places, autour de vos maisons, autour de vos temples ; mais elle ne se mêle point de régler ce que vous y faites ; tout son pouvoir consiste à empêcher que ce que vous y faites ne nuise à vos concitoyens. […]

Veiller à ce qu’aucun culte, pas même le vôtre, ne trouble l’ordre public, voilà votre devoir ; mais vous ne pouvez pas aller plus loin.

On vous parle sans cesse d’un culte dominant. Dominant ! Messieurs, je n’entends pas ce mot, et j’ai besoin qu’on me le définisse. Est-ce un culte oppresseur que l’on veut dire ? Mais vous avez banni ce mot ; et des hommes qui ont assuré le droit de liberté ne revendiquent pas celui d’oppression. Est-ce le culte du prince que l’on veut dire ? Mais le prince n’a pas le droit de dominer sur les consciences, ni de régler les opinions. Est-ce le culte du plus grand nombre ? Mais le culte est une opinion ; tel ou tel culte est le résultat de telle ou telle opinion. Or les opinions ne se forment pas par le résultat des suffrages ; votre pensée est à vous ; elle est indépendante, vous ne pouvez pas l’engager.

Enfin une opinion qui serait celle du plus grand nombre n’a pas le droit de dominer. C’est un mot tyrannique qui doit être banni de notre législation ; car si vous l’y mettez dans un cas, vous pouvez l’y mettre dans tous : vous aurez donc un culte dominant, une philosophie dominante, des systèmes dominants. Rien ne doit dominer que la justice ; il n’y a de dominant que le droit de chacun : tout le reste y est soumis. Or c’est un droit évident, et déjà consacré par vous, de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui.

Archives parlementaires de 1787 à 1860 ; 8-17, 19, 21-33. Assemblée nationale constituante. 8. Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789 / impr. par ordre du Sénat et de la Chambre des députés ; sous la dir. de M. J. Mavida. Extrait 1 p. 472 ; extrait 2, p. 477.