Jules Ferry, pour la neutralité religieuse

Jules Ferry : «  La neutralité religieuse de l’école, la sécularisation de l’école, si vous voulez prendre un mot familier à notre langue politique »

[à relever : la neutralité religieuse comme résultat du processus historique de sécularisation dans divers domaines : celui des sciences, des institutions sociales, des institutions civiles et politiques]


La neutralité religieuse de l’école, principe, issu de 1789

Messieurs, le Gouvernement pense que la neutralité religieuse de l’école, au point de vue du culte positif, au point de vue confessionnel, comme on dit en d’autres pays, est un principe nécessaire qui vient à son heure et dont l’application ne saurait être retardée plus longtemps : c’est le même principe dont est sortie une législation tout entière ; s’il a tardé à produire ses fruits dans l’ordre scolaire, il a déjà reçu, dans l’ordre politique et dans l’ordre social, la pleine consécration, non seulement des pouvoirs publics, mais de la volonté de la société tout entière, mais du temps, d’un long temps, car bientôt sonnera l’heure dernière du siècle qui a salué son avènement. La neutralité religieuse de l’école, la sécularisation de l’école, si vous voulez prendre un mot familier à notre langue politique, c’est, à mes yeux et aux yeux du Gouvernement, la conséquence de la sécularisation du pouvoir civil et de toutes les institutions sociales, de la famille par exemple, qui constitue le régime sous lequel nous vivons depuis 1789. Oui, 1789 a sécularisé toutes les institutions, et particulièrement l’institution de la famille, puisqu’il a fait du mariage un contrat civil, relevant uniquement de la loi civile et absolument indépendant de la loi religieuse. (Approbation à gauche). C’est ce que j’appelle la sécularisation des institutions, et je dis que la sécularisation des institutions devait nécessairement aboutir, tôt ou tard, à la sécularisation de l’école publique. (Nouvelle approbation à gauche) …

Je vous demande de vous tenir dans la doctrine qui est la doctrine de la liberté de conscience, de l’indépendance du pouvoir civil, de l’indépendance de la société civile vis-à-vis de la société religieuse. (Très bien ! à gauche.) Il y a cent ans, Messieurs, on a sécularisé le pouvoir civil. Il y a deux cents ans les plus grands esprits du monde, Descartes, Bacon ont sécularisé le savoir humain, la philosophie. Nous, aujourd’hui, nous venons suivre cette tradition ; nous ne faisons qu’obéir à la logique de ce grand mouvement, commencé il y a plusieurs centaines d’années, en vous demandant de séculariser l’école…

Il importe à la République, à la société civile, il importe à tous ceux qui ont à cœur la tradition de 1789 que la direction des écoles, que l’inspection des écoles n’appartiennent pas à des ministres du culte qui ont, sur ces choses qui nous sont chères et sur lesquelles repose la société, des opinions séparées des nôtres par un si profond abîme. (Très bien ! très bien ! à gauche.) Cela, Messieurs, c’est un intérêt général, et voilà pourquoi nous vous demandons de faire une loi qui établisse la neutralité confessionnelle des écoles…




Discours de Jules Ferry à la Chambre des députés le 23 décembre 1880. Cité dans 1789 Recueil de textes et documents du XVIIIe siècle à nos jours, Ministère de l’Éducation nationale de la jeunesse et des Sports, CNDP, 1989.