Le rôle de l’intellectuel est de dire aussi pleinement, aussi honnêtement et aussi directement que possible la vérité. Cela implique qu’il ne se soucie ni de plaire ni de déplaire au pouvoir, ni de s’inscrire dans la logique d’un gouvernement, ni de répondre à un intérêt de carrière.
Edward Saïd, Israël-Palestine, une troisième voie. (souligné dans le texte)
I. Dire aussi honnêtement et aussi directement que possible la vérité

Edward Saïd (1935-2003) est un intellectuel palestino-américain, professeur de littérature anglaise et comparée de 1963 à 2003 à l’université de Columbia, théoricien littéraire, musicologue et écrivain. Mais c’est surtout son engagement pour la cause palestinienne après la guerre de 1967 et la publication de L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident en 1978 qui en ont fait un intellectuel célèbre. La paternité des postcolonial studies1 lui est attribuée, bien qu’il s’en soit éloigné. Cette célébrité a eu aussi pour revers d’occulter le principal de son œuvre2.
Depuis le 7 octobre, la tragédie israélo-palestinienne
Que dire ? La sidération des attentats du 7 octobre contre la population civile israélienne. La colère et la consternation devant le négationnisme refusant de qualifier de terroristes des actes terroristes. La révolte devant la conduite criminelle de la guerre voulue par Netanyahu et ses conséquences pour la population civile palestinienne. Le pessimisme, le sentiment de l’irréversible et des malheurs sans fin à venir.
Résistances à dire
1. Le refus de qualifier et dénoncer clairement ce qui se passe depuis le 7 octobre 2023 à Gaza.
Ce qui frappe c’est l’euphémisation du sort fait aux Palestiniens, le refus d’appeler un chat un chat, le refus de qualifier de crimes de guerre, le cas échéant de crimes contre l’humanité, à propos de certaines des exactions commises par l’armée israélienne au nom de « la guerre contre le Hamas » ; le refus aussi de dire que ce que nous voyons tous, à savoir, l’engagement d’un processus de destruction de masse dans la bande de Gaza, du fait de l’effondrement des conditions sanitaires et du blocage du tout ravitaillement de la population civile, condamnée à mourir d’épuisement, de maladie et désormais de famine, quand ce n’est pas sous les bombes ; le refus de dire l’évidence, à savoir que cette politique de destruction systématique des installations civiles vise à rendre inhabitable la bande de Gaza pour longtemps, et à contraindre de ce fait ses habitants au départ, ce qui s’appelle un déplacement forcé de population civile.
2. Le refus de qualifier et de dénoncer clairement ce qui s’est passé le 7 octobre 2023 en Israël.
Ce qui frappe aussi, c’est la faillite d’une certaine gauche radicale, incapable d’exprimer sa révulsion devant la barbarie et une condamnation sans réserve ni équivoque, ne serait-ce que par décence, c’est-à-dire sans rien dire de plus au moment même où l’on découvrait l’ampleur des atrocités et des crimes. Ce qui frappe, c’est ici aussi le refus d’appeler un chat un chat, de qualifier de terroristes des actes terroristes, jusqu’à consacrer le massacre de ces civils israéliens « d’actes de résistance à Israël » (Danièle Obono, Judith Butler, plus tard). Et au-delà de l’indécence, de l’idéologie ou des calculs politiciens pitoyables, cette faillite intellectuelle et politique consitant à identifier les actions du Hamas à des « actes de résistance », sans questionner cette « résistance », sans demander ou dire, à quoi et en vue de quoi, cette résistance-là résiste.
La résistance ?
La plongée adoucissante dans l’esprit islamique constitue une priorité pour la société qui affronte un ennemi à la cruauté nazie dans ses pratiques, un ennemi qui ne fait aucune distinction entre l’homme et la femme, le vieillard et le jeune. […] Le nazisme des Juifs vise également les femmes et les enfants : ils terrorisent l’ensemble de la population […] Par leurs actes monstrueux, ils se comportent avec les gens comme les pires criminels de guerre.
Charte du Hamas, 1988, art. 203
Le 7 octobre 2023 il valait mieux être un militaire qu’un enfant, une jeune fille, une femme ou un vieillard israélien, parce qu’un militaire a une valeur marchande et symbolique supérieure à celle des simples civils qui, de toutes les façons, ne pouvaient être tous enlevés pour en faire une monnaie d’échange. Dans la logique du Hamas, il était préférable de les massacrer en masse et de façon spectaculaire afin d’avoir un maximum d’efficacité politique.
Dire que l’attaque du Hamas résulte de la politique conduite par la succession des gouvernements israéliens de droite et d’extrême droite depuis plus de 40 ans n’est pas suffisant. Car cette attaque résulte évidemment de cette politique mais sa nature de ce qu’est le Hamas.
Quand on parle des mouvements de résistance, des « maquis », il est clair que ce ne sont pas les résistants mais bien les oppresseurs qui tuent, torturent, violent les femmes, mutilent des cadavres et massacrent des villages entiers. C’est la division Waffen SS Das Reich qui par une action brutale, méthodique et délibérée organise le massacre d’Oradour sur Glane. Ce sont les Serbes qui utilisent les viols et les abus sexuels sur les femmes et les enfants comme arme de guerre contre les Bosniaques. Ce sont des militaires français qui brûlent des villages en Algérie et exécutent des civils soupçonnés de complicité avec les combattants de résistance algérienne, les fellagas.

Judith Butler
La « résistance » change de sens quand crimes, viols, tortures, mutilations et massacres de civils, enfants, femmes et vieillards compris, peuvent être considérés comme des « actes de résistances » (Judith Butler), des armes de la guerre. On appellera donc désormais « résistants » des massacreurs, des égorgeurs, des violeurs, des tortionnaires. Cette torsion du langage permet ainsi de légitimer la cruauté, la brutalité, la férocité des atrocités sur des civils, de tout âge, tout sexe, toute conditions, tous à égalité.
Puis le souvenir d’Edward Saïd
Pas tant le souvenir de l’auteur de L’orientalisme4 paru en 1978, que celui d’un professeur inconnu de littérature comparée à Columbia qui, choqué par la réaction de l’opinion publique américaine, décide après 1967 de s’engager pour la cause palestinienne. Combat isolé, minoritaire et courageux étant donné le contexte qui régnait alors aux Etats-Unis.
Le souvenir d’un Edward Saïd critiquant avec la même force et à plusieurs Yasser Arafat et l’Autorité Palestinienne, les accusant de ne rien connaitre de ce que vivent les Palestiniens au quotidien, de ne pas agir, et de les avoir abandonnés en signant les accords d’Oslo. 5
Le même Edward Saïd qui met en garde ses compatriotes contre le dévoiement islamiste de la cause palestinienne, contre l’antisémitisme qui sous les couleurs de l’antisionisme se répand dans le monde arabe et musulman6. Il critique l’engouement pour les thèses négationnistes et pour le négationniste français, l’ancien stalinien Roger Garaudy (« Dans chaque pensée juste, Staline est là ; dans chaque action efficace, Staline est là ») — Rajâ Garaudy après sa conversion à l’islam—, devenu une référence et une star d’abord chez les islamistes, puis dans le monde arabe et musulman, et chez de nombreux Palestiniens7, dont les leaders du Hamas et leur chef d’alors le cheikh Yassine qui lui apporte son soutien.
Tout cela pour dire que, tout en étant un activiste de la cause palestinienne, Edward Saïd n’aurait jamais considéré les atrocités planifiées par le Hamas le 7 octobre comme des « actes de résistance » des Palestiniens « à Israël », et cela au nom de l’exigence intellectuelle de vérité, cruciale en politique.
♦ ♦ ♦
Le refus d’une « position strictement politique », de l’indifférence à la vérité
Dans un article de 1998, « Israël-Palestine, une troisième voie »8, Edward Saïd critique l’alternative politique dans laquelle on voudrait enfermer les Palestiniens : d’un côté, la voie du renoncement incarnée par Yasser Arafat et l’Autorité Palestinienne, plus préoccupés de conforter les petits bénéfices politiques (qu’ils retirent des accords d’Oslo) que de défendre les droits des Palestiniens ; de l’autre, la voie d’un État islamique, anti-démocratique, anti-laïque, imprégnée d’antisémitisme, de nationalisme religieux imbécile, qu’incarnent les mouvements islamistes comme le Hamas.
Edward Saïd juge que le devoir d’un intellectuel est de dire la vérité, sans restriction, et même au prix de l’impopularité de ceux dont il défend la cause.
Il y a une différence majeure entre un comportement politique et un comportement intellectuel. Le rôle de l’intellectuel est de dire aussi pleinement, aussi honnêtement et aussi directement que possible la vérité. Cela implique qu’il ne se soucie ni de plaire ou déplaire au pouvoir, ni de s’inscrire dans la logique d’un gouvernement, ni de répondre à un intérêt de carrière.9 (je souligne)
Par « comportement politique », ou « position strictement politique », Edward Saïd ne vise pas la politique mais la politique politicienne, idéologique et carriériste. Sa thèse est qu’il n’est de juste politique que fondée sur la vérité. Pour lui, l’exigence de vérité n’est ni purement intellectuelle (la probité), ni purement morale (ne pas mentir). Elle est politique : les causes justes exigent la vérité, de dire ce qui est et d’appeler un chat un chat : une colonisation une colonisation, un acte terroriste un acte terroriste, un projet totalitaire un projet totalitaire. Ce que n’ont compris ni Judith Butler, ni la députée Danielle Obono (ni tous ceux ont soutenu la même thèse) : le Hamas ne lutte ni pour la liberté, ni pour la justice, ni pour les Palestiniens, son projet est tout autre, particulièrement redoutable pour les Palestiniens, ce dont Saïd s’inquiétait.
Se demander en vue de quoi, une « résistance » résiste
L’exigence intellectuelle et la justesse politique était ici se demander en vue de quoi cette résistance-là résiste.
Pour Edward Saïd le projet politico-religieux du Hamas pour la Palestine n’était en rien différent de son double inversé, celui de l’extrême droite religieuse israélienne portée par le même nationalisme religo-identitaire, relayée par « la droite », le Likoud en particulier.
Il est facile d’illustrer cette jumellité de principes à partir de deux textes fondamentaux du Hamas : la Charte du Hamas de 1988 (toujours en vigueur) et le « Document » de 2017 sur « les principes généraux et politiques » du Hamas, sorte d’aggiornamento au statut bizarre puisqu’il ne remplace par la Charte dont il vise à protéger les « invariants », tout en prenant en compte certaines réalités, ce qui le conduit à effacer l’antisémitisme explicite dans la Charte mais jugé nuisible pour l’image du Hamas et à gommer ses références appuyées au Coran. Pour une analyse philologique et politique très précise de ces deux textes, voir l’étude de Jean-François Legrain (chercheur au CNRS) intitulée « Le ‘Document’ de Hamas (2017) ou l’ouverture comme garante des invariants » (Les carnets de l’IREMAM, 10 septembre 2020). J’utilise également sa traduction de la Charte de 198810.
1. La revendication d’une souveraineté politico-religieuse sur toute la Palestine.
Les leaders du Hamas déclarent que la Palestine appartient aux Palestiniens du « fleuve [Jourdain] à la mer » (« from the River to the sea »), la revendication et l’expression figurent dans le Document de 2017 :
Le Hamas rejette toute alternative à la libération complète et achevée de la Palestine, du fleuve à la mer (Document, art. 20) ;
La Palestine, qui s’étend de la Jordanie, à l’est, jusqu’à la Méditerranée, à l’ouest, et de Ras Al Naqurah, au nord, jusqu’à Umm Al Rashrash, au sud, est une unité territoriale indivisible. (Document, art. 2)
La Charte du Hamas (1988) disait pareillement que le Hamas
fait allégeance à Dieu, fait de l’islam sa règle de vie et œuvre à planter l’étendard de Dieu sur toute parcelle de la Palestine. (Charte, art. 6)
Les partis de l’extrême droite religieuse et nationaliste revendiquent pareillement la souveraineté sur le « Grand Israël », et à ce titre, l’annexion de la Cisjordanie et du Golan. Les leaders du Likoud affirment qu’« entre la mer et le Jourdain, il n’y aura que la souveraineté israélienne » (Menachem Begin, 1977), qu’il s’agit de
protéger Eretz Israël [« la Terre d’Israël »], de la mer au fleuve Jourdain pour les générations futures (« from the sea to river Jordan », Yitzhak Shamir, 1990).
2. Un messianisme territorial, au nom de « droits historiques » fondés sur une légitimité religieuse, justifiant d’un côté le jihad, de l’autre la colonisation.
Document de 2017 :
La Palestine est une terre islamique arabe. C’est une terre sacrée et bénie » (Document, art.3) ;
« La Palestine est la Terre Sainte, qu’Allah a bénie pour l’humanité. C’est le premier Qiblah des musulmans et la destination du voyage de nuit du Prophète Mouhammad, que la paix soit avec lui ! (Document, art.7).
Charte du Hamas de 1988 :
La Palestine est une terre islamique : elle a été la première des deux qibla et c’est le troisième Lieu-saint, point de départ de l’ascension nocturne de l’Apôtre de Dieu (Charte, art. 14) ;
la terre de Palestine est une terre islamique waqf [de mainmorte11] pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection. Il est illicite d’y renoncer en tout ou en partie, de s’en séparer en tout ou en partie. […] Tel est son statut selon la Loi islamique, statut identique à celui de toute terre conquise par les musulmans de vive force. À l’époque des conquêtes, en effet, les musulmans ont constitué ces terres en biens waqf pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection (Charte, art. 11) ;
Renoncer à quelque partie de la Palestine que ce soit, c’est renoncer à une partie de la religion. Ainsi, le patriotisme du Mouvement de la Résistance Islamique fait-il partie de sa religion. […] Il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad. (Charte, art. 13).
L’extrême droite religieuse israélienne invoque l’Alliance entre Dieu et les Hébreux consignée dans le Pentateuque :
« À ta race j’ai donné ce pays depuis le fleuve Égypte au Grand Fleuve, le fleuve Euphrate » (Deutéronome XV 18)
Pour les sionistes religieux, c’est le retour à la « Terre promise » (Eretz Hahavtaha) destinée au peuple de prédilection (Am Ségoula). Car c’est seulement sur cette terre que le Juif peut donner toute la mesure de sa véritable nature spirituelle, parce qu’elle est le lieu de résidence éternel de la présence divine (Shekhinà). Le slogan du parti national religieux mentionnait précisément
« La Terre Israël au peuple Israël en accord avec la Torah Israël ».
La création de l’État d’Israël est « l’aube de la rédemption » (Athalta di geoula). Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS, parle de “sadducèisation du judaïsme”, néologisme qu’il définit ainsi :
« le nom sadducéen désignait le parti des prêtres et des aristocrates farouchement attachés union du Temple et de l’État, autrement dit l’association étroite entre politique et religion » 12.
Dans les deux cas, l’approche de la question de Palestine est donc essentialiste, a-historique, de toute éternité d’une bénédiction divine, qu’elle soit la « Terre de promesse » destinée aux juifs, ou la Terre bénie et sacrée des musulmans, terre de jihad « jusqu’à ce que se réalise la promesse de Dieu » (Document, art. 7). La Terre (le pays), l’identité religieuse (islamité, judéité) et le peuple (palestinien, israélien) sont identifiés à jamais.
Contre quoi Edward Saïd écrit :
Il faut, pour défaire l’injustice, créer davantage de justice et non pas de nouvelles formes de surenchère du type : “Ils ont un État juif, nous voulons un État islamique."
Le combat que nous menons est un combat pour un État ou une République laïque dont tous les membres sont citoyens égaux, et non pas un faux combat inspiré d’un passé mythologique et lointain, qu’il soit chrétien, juif ou musulman.13
Pour Edward Saïd, c’est le nationalisme religieux qui conduit dans le meilleur des cas à l’enfermement des « minorités religieuses » dans un statut juridique qui limite très sévèrement leurs droits civils et politiques, mais aussi, au nom de la « purification » aux politiques d’épuration ethnique. Il n’est donc pas étonnant que s’adressant aux Palestiniens, Edward Saïd les mette en garde contre le projet « théocratique », liberticide et purificateurs, des partis islamistes. Il sait trop bien qu’à taire cette réalité par contorsion idéologique et calcul politique, c’est la cause palestienne elle-même que l’on enterre.
♦ ♦ ♦
La lutte du Hamas pour imposer un État islamique en Palestine et aux Palestiniens
Edward Saïd s’efforce de critiquer les islamistes et la politique israélienne, sans les confondre et avec la même exigence intellectuelle de vérité.
Pour comprendre la vigueur de sa critique des partis islamistes, il faut avoir à l’esprit leur projet politique dont un penseur comme Saïd avait toutes les raisons de redouter qu’il apparaisse comme celui des Palestiniens, ou pire le devienne. Pour cela, l’exemple du plus réprésentatif d’entre eux, celui du Hamas, suffira.
1. Un totalitarisme religieux à prétention universaliste
L’idée selon laquelle l’islam concerne l’intégralité (chumûl) de la vie est le premier des douze principes de l’islam développés par Hassan al-Banna, le fondateur des frères musulmans. C’est sous sa bannière que se place le Hamas qui porte lui aussi cette vision intégraliste de l’islam :
L’universalisme parfait des concepts islamiques s’appliquent à l’ensemble des domaines de la vie, aux représentations et aux croyances, à la politique et à l’économie, à l’éducation et à la vie sociale, au judiciaire et à l’exécutif, à la mission et à l’enseignement, à l’art et à l’information, à ce qui est caché comme à ce qui est manifeste et à tous les autres domaines de la vie (Charte, art.2)
Il s’agit d’adopter « l’islam comme règle de vie […] en ligne directe avec la naissance de la mission islamique, avec les Pieux Ancêtres14 » (Charte, art. 5)
Le Document de 2017 réaffirme la conception d’un islam universaliste, total et totalitaire :
L’Islam – pour le Hamas – offre un mode de vie complet et un ordre qui conviennent à toutes les époques et tous les lieux. (Document, art. 8)
Et bien entendu l’ensemble de la production intellectuelle, artistique et culturelle devront être purgés de tout ce qui est contraire à la vision islamiste de la culture, des arts et de la politique. De même pour l’‘éducation :
Il faut que l’éducation des jeunes générations islamiques dans notre région soit une éducation islamique fondée sur l’accomplissement des obligations religieuses, l’étude conscientisée du Livre de Dieu, l’étude de la tradition prophétique, la lecture de l’histoire et du patrimoine islamique dans ses sources fiables, sous la direction des spécialistes et des hommes de science. Les programmes que devra suivre le musulman auront pour fondement de lui donner une représentation saine dans les domaines de la pensée et des articles de foi. Il sera également nécessaire de mener une étude conscientisée de l’ennemi, de ses ressources matérielles et humaines: de reconnaître ses points de faiblesse et de force: d’identifier les forces qui le soutiennent et se tiennent à ses côtés.
(Charte, art.16)
2. Un projet théocratique
La Charte du Hamas s’en prend à l’OLP qui « a adopté l’idée d’un État laïc » 15 :
L’idée laïque signifie la non-religion, elle est incompatible avec l’idée religieuse, d’une totale incompatibilité. Or, c’est sur les idées que se construisent les positions, les points de vue et les prises de décision [de l’OLP]. […] À partir de là, malgré toute notre estime pour l’Organisation de Libération de la Palestine […] il nous est impossible de troquer l’islamité actuelle et future de la Palestine pour l’adoption de l’idée laïque. L’islamité de la Palestine fait, en effet, partie de notre religion. (Charte, art. 26)
Le Hamas affirme que les seules religions minoritaires tolérées seront le christianisme et le judaïsme (les autres sont impies) sous le régime infériorisant et discriminatoire du dhimmi — du reste qui peut sérieusement croire à cette tolérance envers les « croisés », les « traitres » et les « imposteurs » ? Quant aux athées, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes car ils ont eux-mêmes choisi le sort qui les attend : « Celui qui jouit de la vie sans aucune religion a fait du néant son compagnon » (Charte, art. 6) ; en clair : la mort.
[Je rappelle sur ce point que le très libéral John Locke propose lui aussi, dans La Lettre sur la Tolérance que l’on voudrait faire passer pour un manifeste laïque avant l’heure, d’assigner les catholiques à un statut juridique infériorisant et demande explicitement la peine de mort pour tous les athées].
3. Antisémitisme, complotisme et négationnisme du Hamas
Pour Edward Saïd l’antisémitisme qui se répand chez les arabes et les musulmans est la pire plaie et le pire piège. Le Hamas en est l’exemple. Dans son Document de 2017 le Hamas prend soin de nier son antisémitisme par deux affirmations simultanées :
- Le Hamas affirme qu’il s’oppose au projet sioniste, et non pas aux Juifs en raison de leur religion. Le Hamas ne lutte pas contre les Juifs parce qu’ils sont juifs, mais il mène la lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine. (Document, art. 16)
- Le problème juif, l’antisémitisme et la persécution des juifs sont des phénomènes fondamentalement liés à l’histoire européenne et pas à l’histoire des Arabes et des musulmans » (Document, art. 17)
Si « la question juive » et sa conséquence, « la question palestinienne », sont bien liées à l’histoire européenne, en revanche l’affirmation que « l’antisémitisme et la persécution des juifs » ne l’est pas « à l’histoire des Arabes et des musulmans » a de quoi surprendre. C’est un exemple typique des contrefaçons qui caractérisent les histoires religieuses et apologétiques.
L’idéologie antisémite et complotiste du Hamas est explicitement exposée dans sa Charte.
Depuis longtemps déjà, […] les ennemis ont dressé des plans et les ont adoptés pour parvenir là où ils sont arrivés actuellement. Ils ont travaillé à rassembler des fortunes matérielles considérables […] Grâce à l’argent, ils règnent sur les médias mondiaux, les agences d’informations, la presse, les maisons d’édition, les radios, etc. Grâce à l’argent, ils ont fait éclater des révolutions dans différentes régions du monde pour réaliser leurs intérêts et les faire fructifier.
Ce sont eux qui étaient derrière la révolution française, la révolution communiste et la plupart des révolutions dont nous avons entendu et entendons parler de-ci de-là. Grâce à l’argent, ils ont créé des organisations secrètes qui étendent leur présence dans toutes les parties du monde pour détruire les sociétés et réaliser les intérêts du sionisme, comme la franc-maçonnerie, les clubs Rotary et Lyons, le B’nai B’rith, etc. […]
Grâce à l’argent, ils sont parvenus à prendre le contrôle des États colonialistes et ce sont eux qui les ont poussés à coloniser de nombreuses régions pour en exploiter les richesses et y répandre leur corruption. […]
Ce sont eux qui étaient derrière la première guerre mondiale lorsqu’a été prononcée la condamnation de l’État du califat islamique. […]
Ce sont eux qui étaient derrière la seconde guerre mondiale qui leur a permis d’amasser d’énormes profits grâce au commerce du matériel de guerre. […]
Et ce sont à leurs instigations qu’ont été créés l’ONU et le Conseil de sécurité pour remplacer la Société-des-Nations afin de gouverner le monde à travers eux.
Qu’une guerre éclate de-ci de-là et c’est leur main qui se trouve derrière.
(Charte, art. 22, je souligne)
Le plan sioniste n’a pas de limite ; après la Palestine, ils ambitionnent de s’étendre du Nil a l’Euphrate. Lorsqu’ils auront parachevé l’assimilation des régions jusqu’aux quelles ils seront parvenus, ils ambitionneront de s’étendre plus loin encore, et ainsi de suite. Leur plan se trouve dans « les Protocoles des Sages de Sion » et leur conduite présente est une bonne preuve de ce qu’ils avancent. (Charte, article 32, je souligne).
II. Edward Saïd « Israël-Palestine, une troisième voie »16. Extraits.
Le Monde diplomatique, Samedi 1 août 1998, p. 9 [accès à l’article complet texte complet ici]

♦ ♦ ♦
« Qu’elle soit pratiquée par les Serbes, par les sionistes ou par le Hamas, la purification ethnique est la purification ethnique. »La troisième voie dont je parle […] nécessite, tout d’abord, d’être conçue en termes de citoyenneté et non de nationalisme, dans la mesure où la notion de séparation (Oslo) et d’un nationalisme théocratique triomphaliste, qu’il soit juif ou musulman, ne répond ni ne traite des réalités qui nous attendent. Ce concept de citoyenneté implique que tout individu bénéficie d’un même droit, fondé non sur la race ou la religion, mais sur une égalité de justice garantie par la Constitution, concept inconciliable avec la notion largement dépassée d’une Palestine « purifiée » de ses « ennemis ». Qu’elle soit pratiquée par les Serbes, par les sionistes ou par le Hamas, la purification ethnique est la purification ethnique.
♦ ♦ ♦
Contre un État islamiqueIl faut, pour défaire l’injustice, créer davantage de justice et non pas de nouvelles formes de surenchère du type : « Ils ont un État juif, nous voulons un État islamique. »
Nous ne pouvons gagner cette bataille en souhaitant que les juifs s’en aillent ou en prônant l’islamisation : nous avons besoin de ceux qui de l’autre côté de la frontière sont partisans de notre lutte. Nous nous devons de franchir cette ligne de séparation que les accords d’Oslo ont, entre autres, consacrée et qui maintient une situation d’apartheid entre juifs et Arabes en Palestine. La franchir et non pas la renforcer.
♦ ♦ ♦
« Le combat que nous menons est un combat pour la démocratie et l’égalité des droits, pour un État ou une République laïque »Le combat que nous menons est un combat pour la démocratie et l’égalité des droits, pour un État ou une République laïque dont tous les membres sont citoyens égaux, et non pas un faux combat inspiré d’un passé mythologique et lointain, qu’il soit chrétien, juif ou musulman. Le génie de la civilisation arabe trouve son apogée dans l’Andalousie pluriculturelle, pluri religieuse et pluriethnique. Voilà un idéal à suivre en lieu et place d’un processus d’Oslo moribond et d’une attitude malsaine de rejet négationniste. La lettre tue, mais l’esprit donne vie, comme il est dit dans la Bible.
Compte tenu de l’impasse, il est beaucoup question, à l’heure actuelle, d’une imminente explosion. Or, quand bien même ces prévisions se vérifieraient, elles ne doivent pas nous faire oublier la construction de l’avenir, sachant que ni l’improvisation ni la violence ne sont de nature à garantir la création et la consolidation d’institutions démocratiques.
♦ ♦ ♦
« Une mauvaise vague d’antisémitisme rampant et d’hypocrite vertu »Le véritable enjeu se pose ici en termes de clarté et de courage intellectuels, un enjeu qui consiste à combattre toute discrimination raciale, d’où qu’elle vienne. Or il s’insinue, à l’heure actuelle, dans le discours et la pensée politiques d’un certain nombre d’intellectuels arabes une mauvaise vague d’antisémitisme rampant et d’hypocrite vertu. Une chose doit être claire : nous ne combattons pas les injustices du sionisme pour les remplacer par un nationalisme odieux (religieux ou civil) qui décréterait les Arabes de Palestine plus égaux que d’autres.
L’histoire du monde arabe moderne, avec son cortège d’échecs politiques, de violations des droits humains, d’incroyables incompétences militaires, de baisses de production (le tout accompagné du fait que, plus qu’aucun autre peuple moderne, nous reculons au lieu d’avancer en matière de démocratie, de technologie et de sciences), cette histoire est déformée par toutes sortes de poncifs et d’idées indéfendables qui vont, notamment, jusqu’à mettre en doute la réalité de l’Holocauste et la souffrance du peuple juif.
♦ ♦ ♦
« Abonder dans le sens [des] négationnistes au nom de la liberté d’expression est une ruse imbécile qui ne fait que nous discréditer davantage aux yeux du monde. »
Roger Garaudy sur Al Jazeera
♦ ♦ ♦
« Israël n’est ni l’Afrique du Sud, ni l’Algérie, ni le Vietnam »Israël n’est ni l’Afrique du Sud, ni l’Algérie, ni le Vietnam. Et, que cela nous plaise ou non, les juifs ne sont pas des colonialistes ordinaires. Oui, ils ont souffert de l’Holocauste, oui, nombre d’entre eux sont victimes d’antisémitisme. Non, ces faits ne leur donnent pas le droit d’exercer ou de poursuivre une politique de dépossession à l’encontre d’un peuple qui ne porte aucune responsabilité dans l’histoire de leurs malheurs.
♦ ♦ ♦
« Prendre conscience de la réalité de l’Holocauste ne signifie aucunement accepter l’idée selon laquelle l’Holocauste excuse le sionisme du mal fait aux Palestiniens »La thèse selon laquelle l’Holocauste ne serait qu’une fabrication des sionistes circule ici et là de manière inacceptable. Pourquoi attendons-nous du monde entier qu’il prenne conscience de nos souffrances en tant qu’Arabes si nous ne sommes pas en mesure de prendre conscience de celles des autres, quand bien même il s’agit de nos oppresseurs, et si nous nous révélons incapables de traiter avec les faits dès lors qu’ils dérangent la vision simpliste d’intellectuels bien-pensants qui refusent de voir le lien qui existe entre l’Holocauste et Israël. Dire que nous devons prendre conscience de la réalité de l’Holocauste ne signifie aucunement accepter l’idée selon laquelle l’Holocauste excuse le sionisme du mal fait aux Palestiniens. Au contraire, reconnaître l’histoire de l’Holocauste et la folie du génocide contre le peuple juif nous rend crédibles pour ce qui est de notre propre histoire ; cela nous permet de demander aux Israéliens et aux juifs d’établir un lien entre l’Holocauste et les injustices sionistes imposées aux Palestiniens, établir un lien et du même coup le mettre en cause pour ce qu’il recouvre d’hypocrisie et de déviation morale.
Notes
-
La critique saïdienne de l’Orientalisme nourrit des polémiques violente entre d’un côté ses thuriféraires, et de l’autre ses contempteurs, qui ont pour point commun de n’avoir lu que ce livre, loin d’être son meilleur, comme dit Henry Laurens. Pour une présentation d’Edward Saïd, une critique nuancée de L’orientalisme, de sa réception dans son rapport aux études postcoloniales, voir Henry Laurens, Le passé imposé, Fayard, 2020, pages 196-210. Henry Laurens a rassemblé dans ce livre la série de cours intitulés Colonial/postcolonial du bon usage des concepts qu’il a donnés au Collège de France en 2021. Le 5ème cours porte sur la généalogie du postcolonial et l’œuvre de d’Edward Saïd. France-Culture a rediffusé cette ces cours dans un format plus pratique divisé en 11 épisodes sous le titre Le passé imposé par Henry Laurens, dont le 9ème est consacré à Généalogie du post colonialisme et l’orientalisme d’Edward Saïd et le 10ème, Minorités, mémoires coloniales et racialisation, poursuit sur cette généalogie en revant sur l’antagonisme entre l’approche discontinuiste de Foucault et celle continuiste de d’Edward Saïd ; ces deux épisodes correspondant au 5ème cours du Collège de France. ↩︎
-
Sur ce point, voir Guillaume Bridet, Xavier Garnier, « Introduction. Edward W. Said au-delà des études postcoloniales », Sociétés & Représentations, 2014/1 (N° 37), p. 7-27. ↩︎
-
La traduction de la Charte du Hamas de 1988 est donnée dans Jean François Legrain, Les voix du soulèvement palestinien 1987-1988, Ed. CEDEJ, Le Caire, 1991 ↩︎
-
Edward Saïd, L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident, Seuil, 2005 (édition augmentée d’une préface et d’une postface de Saïd). À mes yeux, la valeur de L’Orientalisme n’est pas tant le livre, grevé de nombreuses faiblesse, voire d’incongruités, que dans l’esprit critique qui l’a inspiré et son immense retentissement, et cela non pas parce que le succès (mondial) serait un critère de valeur mais en ce sens qu’il a inspiré un mouvement critique et produit un effet d’mancipation, qu’illustrent, sans s’y réduire, les postcolonial studies, pour le meilleure comme pour le pire. ↩︎
-
Et encore un an avant sa mort, dans cet article « La “réforme” qu’il faut aux Palestiniens » qui fustige l’Autorité Palestinienne et Afarat au sujet de l’exigence de « réforme » soudainement voulue par tous les acteurs Sharon (« pour pouvoir continuer à détruire les conditions d’existence d’une nation palestinienne »), les États-Unis (« pour mieux « combattre le terrorisme », formule passe-partout qui chez eux tient lieu d’histoire, de géographie et de politique en général ») , les dirigeants arabes (qui « mêlent dans leurs propres exigences différents intérêts dont aucun ne correspond directement à ceux des Palestiniens »), les Européens (« ce qui les mène qu’à s’agiter en désordre, envoyer des émissaires à Sharon et Arafat, sonner le tocsin de Bruxelles, financer quelques projets sur le terrain… Et on en reste là ».) :
« En cinquième lieu arrivent Yasser Arafat et son cercle de collaborateurs. Ils ont soudain découvert les vertus de la démocratie et de la réforme - en théorie du moins. Je parle à grande distance du champ de bataille, j’en suis conscient, et je sais ce qu’on peut dire du symbole de résistance que représente Arafat en face de l’agression israélienne, après le siège qu’il a soutenu vaillamment. Je crois malheureusement que tout cela ne signifie plus grand-chose. La seule chose qui intéresse maintenant Arafat, c’est de se sauver lui-même. Il a bénéficié de dix ans de liberté de mouvement pour gouverner son royaume croupion, et n’est parvenu qu’à attirer honte et mépris sur lui-même et la plus grande partie de son équipe.
Qu’on puisse un seul instant l’imaginer en mesure aujourd’hui de se transformer, ou son cabinet - refondu mais toujours dominé par les mêmes symboles de défaite et d’incompétence - capable de mettre en œuvre de vraies réformes, ce sont des naïvetés qui défient le bon sens.
Pour finir nous avons le peuple palestinien : il exige à grands cris et la réforme et les élections. De mon point de vue c’est la seule légitime parmi les six exigences que j’ai énumérées. N’oublions pas que l’administration d’Arafat et le Conseil palestinien ont largement dépassé le terme de leur mandat et que de nouvelles élections auraient dû avoir lieu en 1999. Qui plus est, la base légale des élections de 1996 résidait dans les accords d’Oslo qui n’avaient conféré à Arafat et à son entourage d’autre mission que de contrôler certaines portions de la Cisjordanie et de Gaza pour le compte des Israéliens, c’est-à-dire sans souveraineté ni moyens de sécurité véritables. Vouloir aller de l’avant sur une base pareille, c’est vraiment perdre son temps.
Que faire, alors, si la base de légitimation de l’Autorité palestinienne n’existe plus ?
Il faut édifier les fondements de la réforme à partir des forces vives de la société palestinienne, celles qui, jour après jour, ont résisté à l’invasion et à l’occupation et ont protégé la vie humaine : les syndicats, les personnels de santé, les enseignants, les paysans, les avocats, les médecins, sans oublier les militants de toutes les organisations non gouvernementales.
Je ne vois pas l’intérêt d’attendre le bon vouloir d’Arafat, ou de l’Europe, ou de l’Amérique, ou des Arabes pour cela. C’est aux Palestiniens de le faire au moyen d’une Assemblée constituante représentative des composantes de toute la société palestinienne.» ↩︎ -
Pour une étude bien documenté de ce travestissement, cf. Raphael Israeli, « L’antisémitisme travesti en antisionisme », Revue d’Histoire de la Shoah, 2004/1 (N° 180), p. 109-171. La colère et le désarroi de militants de la cause palestinienne — par exemple, l’article courageux de Fidaa H. paru dans Marianne le 2 février 2024, “Les islamistes ont volé la cause palestinienne” et autrice de Le choix laïque d’une intranquille (L’Harmattan, 2023) — fait écho à la critique saïdienne du dévoiement islamiste de la cause palestinienne. ↩︎
-
Cf. Roger-Pol Droit, « La dernière erreur de “Raja” Garaudy », Le Monde, 22 février 200 : « Garaudy […] est reçu au Liban par le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en Syrie par le vice-président Abdel Halim Khaddam, soutenu par le cheikh Yassine, chef du Hamas, accueilli en Iran par le président Khatami, cité au Parlement égyptien par les Frères musulmans, diffusé au Maroc par des groupes militants… entre autres. En juin 1999, une centaine d’écrivains et de journalistes jordaniens le nomment “plus importante personnalité culturelle internationale du XXe siècle”. ↩︎
-
Edward Saïd, « Israël-Palestine, une troisième voie », Le Monde diplomatique, Samedi 1 août 1998, p. 9 ↩︎
-
Ibid. ↩︎
-
La traduction de la Charte du Hamas de 1988 est donnée dans Jean François Legrain, Les voix du soulèvement palestinien 1987-1988, Ed. CEDEJ, Le Caire, 1991. ↩︎
-
L’ « ard el wakf » ou bien de mainmorte désigne les biens et propriétés donnés de manière irrévocable à une confrérie religieuse ou une mosquée, en général par un homme riche sans héritier (ou voulant déshériter sa famille). Les descendants peuvent continuer à l’occuper, mais l’usufruit ne leur en revient plus dans sa totalité et ils n’ont plus le droit de le commercialiser. Les biens de mainmorte sont un enjeu très important pour les institutions religieuses qui en tirent leur richesse, et qui ont tout intérêt à convaincre un riche de leur léguer leurs biens sous cette forme. ↩︎
-
Sur cet aspect, cf. Alain Dieckhoff « Terre rêvée, terre convoitée : Israël / Israel, The dreamed and Coveted Land, dans Archives de sciences sociales des religions, n°75, 1991. pp. 69-73. Et l’appréciation de Zeev Sternhell : « Israël doit enfin comprendre de lui-même que la référence biblique à la Terre promise le conduit dans un cul-de-sac », dans « Israël : la solution à deux États est la seule raisonnable », Le Monde, 12 octobre 2015. ↩︎
-
Edward Saïd, « Israël-Palestine, une troisième voie », Le Monde diplomatique, Samedi 1 août 1998, p. 9 ↩︎
-
Les as-salaf as-sāliḥ (pieux ancêtres) sont considérés comme un modèle d’inspiration chez les réformistes musulmans et dont il faut réinterpréter l’héritage pour l’adapter, par l’usage de la raison, aux temps présents. Mais dans la Charte du Hamas, cette même référence aux « pieux ancêtres » ou les « prédécesseurs », est entendu au sens du « salafisme » (al-salafiyya) moderne et contemporain qui entend à l’islam supposé originel, à vivre selon son enseignement le plus strict et dans une compréhension littérale du Coran et de Sunna. Théo Blanc en résume ainsi les caractères : « Par salafisme, il faut donc aujourd’hui entendre une approche théologique qui requiert l’imitation du Prophète et des trois premières générations de musulman (orthopraxie), rejette toute idée ou pratique qui n’a pas été explicitement autorisée par les Ecritures (orthodoxie), exalte l’unicité divine (tawhid) et condamne les déviances (chiisme, innovations), s’exercerait idéalement sous les auspices d’un Etat islamique (shari’a), et préconise pour les musulmans une praxis axée sur la sécession – communautaire ou violente – vis-à-vis des incroyants et des apostats (al-wala’ wal-bara’, le désaveu et la loyauté). » (Théo Blanc, Salafisme (1) : Origines et évolutions doctrinales, publié dans Les clés du Moyen Orient, le 16 octobre 2017). ↩︎
-
Sur ce point voir la différence de formulation en ce qui concerne la définition de la Palestine. Pour l’OLP « « la Palestine est la patrie (watan) du peuple arabe palestinien » (article 1 de la Charte de l’OLP). Pour le Hamas : « La Palestine est une terre (ard) islamique arabe. C’est une terre sacrée et bénie qui a une place spéciale dans le cœur de chaque Arabe et de chaque Musulman. » (article 3 du Document de 2017) – et dans sa Charte de 1988 « la terre de Palestine est une terre islamique waqf [de main-morte] pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection ». Dans un cas « nous sommes dans le domaine historique de la représentation du lien entre la terre et le peuple » , dans l’autre cas, dans « le maintien d’une approche essentialiste de la question de Palestine », « une caractérisation nationale (arabe) et confessionnelle (islamique) » (cf. Jean-François Legrain, « Le ‘Document’ de Hamas (2017) ou l’ouverture comme garante des invariants », Les carnets de l’IREMAM, 10 septembre 2020). ↩︎
-
Tous les extraits proviennent de l’article d’Edward Saïd, « Israël-Palestine, une troisième voie », Le Monde diplomatique, Samedi 1 août 1998, p. 9 ↩︎